L'ESPACE ZOLA ET SES PEINTRES

 

 
 

 

 L'espace Zola ouvre d'emblée sur le dialogue de la littérature et de la peinture. On y découvre face à face, entre les portes coupe-feu, à gauche, un tableau de Degas représentant une scène de Thérèse Raquin - un roman de Zola qui a déchaîné les foudres de la critique -, et, à droite, une toile de Bazille, L'Atelier du peintre, montrant le jeune romancier au milieu de ses amis peintres.

Cet Atelier du peintre, qui inspirera la description du grenier de Claude dans L'Oeuvre, évoque en effet les liens de chaude camaraderie qui unissait Zola aux artistes les plus révolutionnaires de son temps : dans le roman comme sur la toile, "le poêle rouge ronfle comme un tuyau d'orgue" et l'atelier "reluit de propreté" . Penché au-dessus de la rampe de l'escalier, Zola s'adresse à Renoir, négligemment assis sur une table, tandis que Maître, comme le musicien amateur qu'est Gagnière dans L'Oeuvre, est au piano ; debout devant le chevalet, Manet et Monet discutent avec Bazille qui tient encore sa palette et l'on retrouve accrochées au mur, ou posées contre la cloison, des toiles de Renoir, de Monet ou encore de Bazille lui-même.

Un détail qui pourrait passer inaperçu fait de ce tableau, en apparence très sage, un véritable manifeste contre l'académisme au nom duquel la peinture moderne, qu'on n'appelle pas encore "impressionniste", est systématiquement refusée à l'exposition officielle : le soleil entre généreusement par la fenêtre ouverte sur les toits de Paris, "visit[ant] l'atelier de la flamme vivante de ses rayons" tandis que seul un pan de rideau, tout chatoyant de lumière, protège la toile des reflets parasites... Or, pour les maîtres de l'Ecole des Beaux-Arts, le soleil est l'ennemi du peintre. Rien ne doit troubler la vision "idéale" des choses avec laquelle seule la lumière froide du nord est compatible.

Si Gagnière, l'un des artistes de L'Oeuvre, parle de "guillotiner l'Institut" au sortir du Salon des Refusés, c'est que l'impressionnisme est né dans une atmosphère révolutionnaire dont témoigne cette Carmagnole de la peinture due à Guillemet : "Nous peignons sur un volcan, le 93 de la peinture va tinter son glas funèbre, écrivait le peintre en 1866 à l'un de ses amis, le Louvre brûlera, les musées, les antiques disparaîtront [...] aux armes, saisissons d'une main fébrile le couteau de l'insurrection, démolissons et construisons ! Courage frères. Serrons nos rangs, nous sommes trop peu pour ne pas faire cause commune,- on nous fout à la porte, nous leur foutrons la porte au nez." La même année, Zola, revendique lui aussi dans Mes Haines, un "93" esthétique décapitant "l'insolente royauté des médiocres".

Il ne faut pas prendre ces propos incendiaires au pied de la lettre, évidemment : les amis de Zola, comme Zola lui-même, passaient de longues journées au Louvre à étudier les maîtres, comme nous le verrons plus tard. Leur outrance n'est qu'une réponse à l'intransigeance des peintres officiels qui voulaient enfermer l'histoire de l'art dans les modèles antiques. Pour Zola et ses amis, les Vénus et les Apollons de la tradition ont fait leur temps ! Résolument "actualistes", ils revendiquent tout simplement le droit de peindre la réalité qu'ils ont sous les yeux, une réalité triviale, très loin de l'idéal. Dans la peinture de Manet, Vénus est devenue Olympia... une fille vénale, des hommes en complet veston ont remplacé les héros en toge et les histoires toutes simples des boutiquières ont remplacé les grandiloquences de la mythologie.

Une même réprobation, une même intolérance accueillent la peinture et la littérature modernes. Pour le critique Louis Ulbach, Thérèse Raquin, le premier grand roman d'Emile Zola, est l'emblème de "la littérature putride" qui s'introduit dans la nouvelle école littéraire comme "l'odieux" réalisme s'introduit en peinture avec Le déjeuner sur L'herbe ou l'Olympia de Manet : "[...] Ma curiosité a glissé ces jours-ci dans une flaque de boue et de sang qui s'appelle Thérèse Raquin, écrit-il dans le Figaro du 23 janvier 1868 [...] Enthousiaste des crudités, [M. Zola] voit la femme comme M. Manet la peint, couleur de boue avec des maquillages roses". Car Ulbach le comprend parfaitement, Zola est un visuel : "La nuit de ces noces hideuses est un tableau frappant, écrit-il après avoir rappelé le terrible dénouement de Thérèse Raquin. Je ne blâme pas systématiquement les notes criardes, les coups de pinceau violents et violets, je me plains qu'ils soient seuls et sans mélange ".

Scellant ironiquement l'union de la peinture "réaliste" et de la "littérature putride", Degas donnera de Thérèse Raquin une interprétation picturale qui reprend à la lettre ou presque le "tableau frappant" dont parlait Ulbach. Souvent appelée "Le viol", cette oeuvre que Degas avait intitulée "Intérieur", a été décryptée de manière convaincante par Théodore Reff. Pour ce critique d'art perspicace, la scène de genre énigmatique de Degas représenterait le terrible huis clos de Thérèse Raquin : enfin mariés, Thérèse et Laurent, les assassins de Camille, viennent de fermer la porte de la chambre à coucher. Mais leur terrible secret empoisonne leur nuit de noces et les précipite dans un insupportable face à face avec leur crime...

Les Animations du CD-Rom Le Musée Imaginaire d'Emile Zola

 

Thérèse Raquin 
 

  l'atelier du peintre

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